Ce matin, on vous propose de tendre l’oreille à un dialogue intérieur. Dans ce nouvel extrait, deux appétits se font face : celui de la prudence et celui du vertige. Il suffit parfois d’un mot glissé, d’une invitation à dîner et de trois questions griffonnées sur une nappe… pour que quelque chose bascule.
Avec Marina, un soir au restaurant, on avait eu un client solitaire. Il était arrivé très tôt, on l’avait installé près de la fenêtre, et il avait demandé s’il pouvait plutôt avoir la table près des cuisines. Il avait fait des choix étonnants dans sa commande, mais je ne m’étais pas méfiée. À la fin du repas, il était venu payer au bar où je buvais un verre d’eau avant le deuxième service, et il s’était présenté à moi en disant Bensch. C’était le premier mot que j’avais entendu sortir de sa bouche, si bien que dix ans plus tard je l’appelais encore par son nom de famille, même après que ce nom était aussi devenu celui de nos enfants.
Après son nom, il avait dit :
– Je suis critique gastronomique.
J’avais demandé :
– Et ?
– Et, avait répondu Bensch, je vais écrire un article sur votre restaurant. Je ne vous dis pas encore quoi. Mais je voudrais vous inviter à dîner quelque part pour discuter.
– D’accord.
...